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Pierre Godefroy, député-maire de Valognes (Manche) 1958/1988

« L'armistice de juin 1940 signé, Pierre est démobilisé avec trois camarades, chemine sur une route de Vendée en direction du Cotentin en suivant un convoi de réfugiés. Il a gardé son uniforme de soldat et, à l'entrée d'un village contrôlée par un poste de garde, il se fait arrêter par un soldat allemand. Il est fait prisonnier et, après bien des voyages, arrive en Allemagne dans les marais de la Weser. Avec d'autres prisonniers, il doit creuser un canal dans cette région marécageuse. Déjà, il échafaude des projets d'évasion. Il part seul. Mais il est repris dès le lendemain.

"Pourquoi t'es-tu évadé ?, je pense au dedans de moi : Pourquoi ? L'armistice était signé. Je revenais paisiblement chez moi. Vous m'avez enlevé sur ma route et m'avez emmené comme un esclave dans votre pays. C'est une affaire personnelle entre vous et moi. L'évasion, c'est ma guerre à moi, pour ma liberté. Dans cette première attaque j'ai eu le dessous. Patience, je recommencerai autant de fois qu'il faudra, foi de Normand ! ".

Les prisonniers évadés sont envoyés dans l'Est, aux confins de la Pologne et de l'Ukraine, en Galicie dans le redoutable camp de Rawa Ruska. C'est un camp de représailles pour les prisonniers de guerre qui ont tenté de s'évader. À Rawa Ruska, Pierre, comme les autres prisonniers, souffre de la faim et de la soif. En pensée, il franchit les plaines et forêts de Galicie, les Carpates, la Transylvanie jusqu'à la Mer Noire, les Dardanelles, pour rejoindre la Turquie, pays neutre et enfin la Syrie pays libre et allié de la France.

Le 14 septembre 1942, alors que voilà maintenant deux ans qu'il est arrivé en Allemagne comme prisonnier, il s'évade en plein jour du chantier où il travaille avec d'autres prisonniers, près du camp de Rawa Ruska. Il part en compagnie de Jean, un camarade. La nuit venue, ils se guident sur les étoiles et marchent à travers champs vers le sud-ouest. Pierre a préparé son évasion. Il a copié à la main une carte quand il était dans le camp. Grâce à elle, il peut identifier les principales routes, les lignes de chemin de fer et les cours d'eau. Ils marchent la nuit et se réfugient dans les bois le jour. Ils évitent autant que possible les villages. Pourtant, Jean s'en approche pour grappiller des légumes dans le jardin. Il déclenche les aboiements de chiens et l'inquiétude des habitants qui sortent de leurs maisons. Jean décide alors de marcher vers l'ouest, vers la Pologne et non plus vers le sud-ouest pour franchir les Carpates et rejoindre la Hongrie : les deux évadés se séparent. La dérive de Jean leur fait passer la frontière polonaise en place de la frontière hongroise. 

Dans la montagne, ils passent sans s'en rendre compte en Hongrie. Mis en confiance par l’accueil des Polonais qui, les jours précédents leur avaient fourni de la nourriture, ils s'aventurent dans un village. Mais en demandant du pain, ils découvrent qu'ils ont affaire à des Hongrois et se font prendre. Leur liberté aura duré 14 jours et c'est le retour à Rawa Ruska.

Il fait la connaissance de Bernard, surnommé Tarzan, qui est non seulement normand mais du Val de Saire. Il rencontre également un polonais, Daniel Dutko, prêt à s'évader le soir même. La ferme de sa famille se trouve à Rajtarowice à 50km du camp de Rawa Ruska. Les autres candidats craignent de partir car l'hiver est arrivé. Ils montent dans un wagon découvert d'où ils sautent dans la neige en pleine campagne. Ils doivent parcourir d’une traite, dans la nuit et la neige, les 45 à 50km qui les séparent de la maison des Dutko. C'est après une douzaine d'heures de marche forcée que Pierre arrive à bout d'épuisement au village, les pieds écorchés par ses souliers trop petits. Il y a huit ans que Daniel est parti, sa famille l'accueille dans la plus grande joie et la stupéfaction.

Pour Pierre il n'est plus question de franchir les Carpates en hiver : il décide de partir seul vers la Roumanie. Il quitte la famille Dutko le 30 janvier 1943. Après plusieurs jours difficiles dans la neige et le froid, Pierre croise sur son chemin des SS qui l'interpellent et l'arrêtent. Il est emprisonné dans la citadelle de Lviv : à l'époque, située en Pologne orientale. Ville appelée Lwow par les Polonais et les Russes, Lemberg par les Allemands). Libéré de son cachot grâce à la venue de la mission Scapini, il reste néanmoins incarcéré dans la citadelle. Il a le bonheur de retrouver les "durs" de Rawa Ruska, eux aussi mis en sureté dans la citadelle. Ils apprennent l'existence d'un souterrain qui relierait la citadelle à la ville. Ils creusent avec fougue et détermination mais ne trouvent rien. "Un souterrain, la belle affaire, eh bien ! Nous n'avons qu'à en faire un nous mêmes". Ils creusent, passe sous les énormes fondations, mais les douves sèches et le chemin de ronde et ses mitrailleuses rendent le projet trop hasardeux. Le même informateur leur révèle qu'ils peuvent s'échapper par les égouts. Pierre et ses camarades ficellent leurs maigres affaires dans du papier goudronné provenant de leur colis postaux et dans des couvertures en forme de long saucisson. La nuit venue ils sortent de leur cellule pour rejoindre, à l'extérieur, une bouche d'égout dont ils ont pris soin de desceller le couvercle. Ils rampent dans les conduites de 40 à 50cm de hauteur dans les matières froides et malodorantes qui s'écoulent des cabinets. L'un d'entre eux pris de panique veut ressortir au plus vite. Il passe par dessus Pierre, l'arrosant des pieds à la tête. Pierre doit descendre dans une conduite verticale étroite où se précipite un jet d’eau glacé, qui lui coupe la respiration et la parole.

De retour dans sa cellule, Pierre voit brûler le ghetto de Lviv et entend crépiter les mitrailleuses. Il apprend par des camarades que des SS et des policiers ont exterminé des familles entières, femmes et enfants. Il essaye de convaincre Bernard de partir avec lui. Mais celui-ci veut attendre d’être en Allemagne. Ses autres camarades échafaudent des stratégies d'évasion.

Le 10 août 1943, Pierre s'évade pour la quatrième fois avec Lucien. Leurs pas les mènent non loin de Rajtarowice où Pierre s'était réfugié six mois plus tôt. Daniel s'est marié. Il n'a plus l'intention de retourner en France comme il l'avait promis à ses camarades quelques mois plus tôt. Le lendemain, Lucien et Pierre reprennent la route et, après quelques jours, atteignent les Carpates. Le 30 août, ils passent la frontière. Mais il leur faut s'en éloigner le plus rapidement possible, d'au moins 25km, pour qu'en cas de capture ils ne soient pas rendus aux Allemands. Pierre est prudent, malgré la faim qui le tenaille, il reste dans la montagne et dans les bois loin des villages mais Lucien le contraint à aller chercher de la nourriture dans la vallée. C'est ainsi qu'après vingt-trois jours de liberté Pierre se fait arrêter alors qu'il demande des œufs. Ils sont conduits en prison à Ungvar où, soulagés, ils apprennent qu'ils seront internés en Hongrie : la forteresse de Komàrom les attend.

Un détenu français les informe alors qu'après dix jours de  forteresse ils partiront pour Balaton Boglar où ils seront hébergés à l'Hôtel National, au bord du lac Balaton… »

                                    Hubert Godefroy, neveu de Pierre, Revue Le Viquet, 2015

                                                        D'après « Comme la feuille au vent, un Normand au pays des tziganes »

                                                        1948, J. Susse, Paris

Date de dernière mise à jour : 26/06/2022

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